BUIDL in France

Le 9 décembre a eu lieu la conférence « BUIDL in France », un événement d’ampleur internationale visant à présenter le cadre réglementaire des crypto-actifs en France. L’écosystème crypto-blockchain français compte aujourd’hui plus d’une centaine d’acteurs et le succès du secteur en France est en grande partie dû à un contexte réglementaire clarifié pour les entreprises du secteur. 

La conférence a accueilli de nombreux invités distingués, Valéria Faure-Muntian (Députée de la Loire), Laurent Camus (Fintech-Innovation Officer, ACPR), Timothée Huré (Adjoint au Chef du Bureau Épargne et Marché financier, DGT), Pierre Person (Député de Paris – Rapporteur de la mission sur les monnaies virtuelles), Florian Glatz (Président, Bundesblock) et Marina Markezic (Fondatrice, Blockchain Think Tank Slovenia). 

Un cadre réglementaire français inédit aux avants-postes du régime européen 

La « crypto-nation » française est principalement réputée pour son cadre réglementaire, unique et audacieux. Faustine Fleuret (Adan) en dresse le panorama. 

Promulguée en 2019, la loi PACTE offre un encadrement – inédit et précurseur de la réglementation européenne – des acteurs sur actifs numériques, depuis leur émission jusqu’au marché secondaire. Sa première spécificité réside dans son caractère hybride, associant des composantes obligatoires et optionnelles. Il se décline ainsi en trois grands volets :

  • un visa optionnel pour les émetteurs de jetons (ICO) ;
  • un enregistrement obligatoire des conservateurs et des plateformes d’échange crypto-fiat, et ;
  • un agrément facultatif pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).

Sa seconde qualité consiste en ce qu’il s’agit d’un régime ad hoc : il définit les jetons et les actifs numériques comme de nouvelles classes d’actifs avec des règles applicables dédiées, donc adaptées. Un article de l’Adan, en anglais, détaille utilement le régime applicable aux émetteurs de jetons et aux PSAN

Si PACTE ne concerne que les crypto-actifs dits « non-financiers », la France s’est également penchée sur le cas des security tokens, dans les limites établies par l’harmonisation de la réglementation financière au niveau européen. Ainsi, depuis 2017, l’émission et le transfert de propriété de certains titres financiers non-côtés peuvent être inscrits dans des blockchains (ordonnances minibons et DEEP).  L’AMF a également mené de multiples analyses en vue d’identifier les obstacles réglementaires pour les porteurs de projets de security tokens, concluant sur la nécessité de créer un Laboratoire numérique européen. L’idée a fait son chemin jusqu’à la Commission européenne…

Enfin, la France a également engagé un vaste chantier fiscal visant à clarifier les règles applicables aux opérations sur actifs numériques. En 2019, un nouveau régime sui generis consacre le développement d’une véritable fiscalité des actifs numériques des particuliers. Concernant les professionnels, le traitement comptable des actifs numériques – découlant de leurs caractéristiques et usages –  et ainsi leurs modalités d’imposition ont été précisées. Mais ce chantier n’est pas terminé.

L’objectif de la [loi PACTE] était de permettre l’utilisation de la technologie lorsque ce n’était pas possible. De nombreux textes ne permettaient pas l’utilisation de la blockchain tout simplement car nous n’avions jamais imaginé que cela pourrait un jour exister.

Timothée Huré

Le gouvernement français soutient les crypto-actifs

Lors de son introduction, Valéria Faure-Muntian a porté un message positif et encourageant de la situation en France à l’égard des crypto-actifs. Elle évoque la loi PACTE comme la première étape d’un projet visant à « transformer notre pays et lui permettre de s’adapter aux défis actuels et futurs ». Selon Madame la Députée, ce projet nécessite passe par une transformation de nos infrastructures économiques et la loi PACTE permet d’encadrer cette évolution, plutôt que de l’interdire.

Madame la Députée souligne que le cadre réglementaire français permet d’attirer des projets et des talents de qualité tout en rassurant les investisseurs. Elle rappelle aussi les avantages que proposent les technologies blockchain en matière de sécurité et de transparence, un atout pour le secteur bancaire et financier. « Nous avons fait un grand pas vers l’avant, mais nous avons toujours du chemin à faire. »

A ce titre, elle nuance les déclarations du Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire en soulignant qu’il est « erroné de faire l’amalgame entre les cryptomonnaies et le terrorisme. » Les travaux des autorités publiques sur le LCB-FT, dont l’Adan est partie prenante active, permettent de réduire les doutes et d’améliorer la sécurité en ce qui concerne l’identification des utilisateurs.

Les cryptomonnaies et la blockchain ont un bel avenir. »

Valéria Faure-Muntian

Une approche de plus en plus positive des autorités publiques vis-à-vis des crypto-actifs

Depuis quelques années, la perception des institutions envers les cryptomonnaies et les crypto-actifs a bien évolué, en témoignent les propos tenus lors de la table-ronde sur l’environnement français. 

Laurent Camus souligne que l’innovation dans le secteur des actifs numériques vise à améliorer les infrastructures du secteur financier, tout en rappelant que le rôle des régulateurs est d’atténuer les risques pour les acteurs existants. 

Timothée Huré rappelle que nous avons de la chance en France d’avoir des députés qui s’intéressent au sujet et un Ministre de l’Economie qui croit au potentiel des ces technologies. Les avantages en matière d’efficacité, de sécurité et de coûts expliquent la volonté de la France d’adopter un régime visant à favoriser le développement des crypto-actifs. 

Monsieur le Député Person apporte une touche de nuance précisant que les cryptoactifs demeurent relativement peu connus par la classe politique, ce qui alimente les préoccupations que certains peuvent avoir (blanchiment, financement du terrorisme, empreinte énergétique). Cependant, le gouvernement reconnaît les opportunités et encourage le développement du secteur français. 

Promouvoir l’innovation et encourager l’entrepreneuriat

Depuis quelques années, et notamment depuis l’entrée au pouvoir du Président Macron en 2017, la France connaît un mouvement de modernisation au bénéfice des entrepreneurs. Le terme « startup nation » est d’ailleurs souvent employé par le Président et les membres du gouvernement pour évoquer cette évolution et l’état d’esprit entrepreneurial. C’est ce que souligne Simon Polrot (Adan) en évoquant ces signaux positifs qui permettent de soutenir l’environnement.

L’État français soutient les entreprises par divers moyens. Il investit soit par le financement direct, soit sous forme de prêts, et énormément d’aides sont disponibles à tous les niveaux de l’État pour soutenir l’entrepreneuriat. Cet investissement s’étend au volet fiscal. En 2022, l’impôt sur les sociétés sera réduit à 25 % et de nombreux crédits d’impôts pour les activités de recherche et de développement s’offrent aux entreprises basées en France. 

L’écosystème entrepreneurial se développe à grande vitesse depuis quelques années. De nombreux organismes privés comme La FrenchTech et France FinTech, pour en citer deux, sont un grand soutien aux entreprises innovantes et font la promotion de l’écosystème français. Ces organismes sont eux-mêmes soutenus par l’État. Cet écosystème foisonnant a aussi permis ces dernières années d’attirer de plus en plus d’investisseurs privés. Autrefois connus pour leur aversion au risque, les investisseurs de capital-risque sont de plus en plus actifs sur la phase d’amorçage et très ouverts aux crypto-actifs. 

Il est aussi important de noter la modernisation des infrastructures, notamment en ce qui concerne les procédures administratives. On peut désormais créer une société entièrement en ligne et les coûts pour ce faire ont été drastiquement réduits. De manière générale, la réglementation visant les entreprises est bien encadrée. Les entreprises ont des obligations auprès de l’État et des consommateurs, mais celles-ci sont claires et présentent peu d’ambiguïtés.

La France au coeur de l’Europe des crypto

Si la France apparaît comme une terre d’accueil favorable à l’innovation crypto, comment se situe-t-elle au sein de l’Union européenne ? 

Cocorico : La France a joué un rôle déterminant dans la construction de la réglementation européenne des acteurs sur crypto-actifs. Le 24 septembre dernier, la Commission européenne a en effet révélé ses deux projets de réglementation à l’égard des crypto-actifs non-financiers d’une part et des security tokens. Le premier s’inspire très largement de la loi PACTE tandis que le second propose la création d’un régime pilote qui n’est qu’un autre nom pour le Laboratoire numérique européen imaginé par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Si cette influence de la France est en soi un élément très positif qui conforte la France dans son positionnement à l’avant-garde de l’innovation crypto, elle lui permet surtout de se préparer sereinement à la transition vers le futur régime européen grâce à un cadre déjà en place et des régulateurs avisés.

Marina Markezic et Florian Glatz nous ont permis de mettre en perspective le développement de l’industrie crypto en France, en Slovénie et en Allemagne. Sur le plan réglementaire, la France se démarque là où ni la Slovénie ni l’Allemagne n’ont érigé leur équivalent de la loi PACTE. La Slovénie a néanmoins mené des travaux importants et les régulateurs dialoguent étroitement avec l’industrie depuis plusieurs années : des clarifications fiscales ont été particulièrement privilégiées alors que le pays compte de nombreux détenteurs de la première heure de Bitcoin (5 % de la population aujourd’hui). A noter que la Slovénie prendra la présidence du Conseil de l’UE en début d’année 2021, à l’heure des négociations autour de la proposition MiCA du projet de régime pilote européen. Du côté de l’Allemagne, les efforts réglementaires ont davantage porté sur les instruments financiers « tokenisés » : un projet de loi – le Electronic Securities Act – autorise l’émission de titres au porteur sur la blockchain, précise les exigences relatives à ce type d’émission (statut légal des émetteurs et conservateurs, documentation, etc.) et prévoit des aménagement nécessaires du Code civil (approche similaire au Liechtenstein avec son Blockchain Act). L’Allemagne s’est également dotée en septembre 2019 d’une stratégie nationale blockchain suivie de conséquences concrètes fortes, parmi lesquelles le lancement d’un programme relatif à l’identité numérique que la Chancelière Angela Merkel a récemment élevé comme l’un des priorités pour le pays.

La France: une “crypto-nation” bien lancée mais menacée

En 2019, le Ministre de l’économie Bruno Le Maire présentait sa vision de la « crypto-nation » à la Paris Blockchain Week, soulignant qu’il préférait que la France ait un « temps d’avance » sur cette technologie de rupture. Depuis, la France s’est dotée d’un cadre réglementaire clair qui a permis à de nombreuses entreprises du secteur d’émerger sur le territoire. C’est le point de vue que soutient Monsieur le Député Person lors de la conférence : « Nous avons choisi d’entreprendre une approche positive en encourageant les acteurs à adopter le cadre réglementaire sans en faire une exigence. L’objectif du Visa ICO de l’AMF est de permettre aux entreprises de légitimer leurs activités auprès des consommateurs et des institutions financières. »

Mais si la France a pris le départ à temps, voire en avance, afin de préparer un terreau propice à l’innovation crypto, elle risque de perdre du terrain. Alors que les temps sont difficiles pour l’économie française et mondiale, de nombreux problèmes structurels doivent être résolus : les idées reçues sur la crypto encore largement répandues (comme l’exemple de l’amalgame au terrorisme souligné par Madame la Députée Faure-Muntian), le sévère déficit d’image qui en découle, les difficiles relations avec les acteurs bancaires, l’accès impossible aux canaux de promotion commerciale des GAFA. Et tandis que l’avènement d’un cadre européen pour les marchés de crypto-actifs nécessitera encore plusieurs années de négociation, de récentes évolutions réglementaires mettent en péril l’attractivité et la compétitivité de l’industrie crypto française. La parution cette semaine de l’ordonnance durcissant le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux PSAN conduit ainsi de nombreux acteurs à s’interroger sur l’ambiguïté du discours des décideurs français : crypto-nation ou crypto-punition ?  

2020-12-08-BUIDL-in-France-Understanding-the-French-Crypto-Framework