Lors d’une récente entrevue accordée à CNBC, Paul Maley, le directeur général de la Deutsche Bank affirmait qu’«il est nécessaire pour toute banque qui veut être compétitive dans le futur, de s’assurer qu’elle a la capacité d’interagir et d’interopérer avec les systèmes DeFi au fur et à mesure qu’ils émergent. Cela va effectivement se produire, mais la question que tout le monde se pose est comment et dans quel ordre. Nous ne connaissons pas la réponse à ces questions.»

Si une telle déclaration démontre l’intérêt porté par l’industrie bancaire traditionnelle à la finance décentralisée (DeFi), elle illustre aussi parfaitement le potentiel d’innovation que représente cet écosystème. 

La DeFi ou open finance est assimilée à une alternative au système bancaire et financier traditionnel développée sur les réseaux blockchain ouverts et décentralisés (tels qu’Ethereum, Binance Smart Chain, Terra, Solana, Avalanche, etc.). L’objectif de la DeFi est de permettre un plus grand accès aux services financiers traditionnellement proposés par les établissements bancaires et financiers et ce, sans tiers de confiance. Depuis l’émergence de la DeFi, environ 106 milliards de dollars d’actifs ont été placés dans les protocoles de finance décentralisée

Source : DeFi Llama (au 20/12/2023)

Les protocoles de finance décentralisée reposent nécessairement sur une infrastructure décentralisée. En effet, les réseaux blockchain programmables assurent un rôle de support pour le développement de ces applications décentralisées (DApps). Parmi celles-ci, Ethereum est sans conteste la blockchain la plus impliquée dans la finance décentralisée

Pourquoi la DeFi ? 

L’avènement de la finance décentralisée part d’un constat : notre accès aux services financiers dépend bien souvent de notre classe sociale ou de notre localisation géographique. Pourtant, l’inclusion financière est synonyme d’inclusion sociale. En effet, une personne qui ne dispose pas des services financiers de base (droit au compte et crédit) risque de se retrouver exclue socialement. Si en France, le taux de bancarisation a été estimé à 99%, dans de nombreux Etats (notamment africains et sud-américains), les populations font face à d’importantes problématiques telles l’inflation monétaire, l’inexistance des services de base et le manque manifeste d’institutions financières. En 2017, un rapport du Global Findex Database estimait que 1,7 milliard d’adultes dans le monde n’ont actuellement pas accès aux services financiers de base.

Dans cette optique, la DeFi apparaît pour certains comme une révolution financière, un nouveau cycle plus inclusif et construit sur de nouvelles bases qui sont, sur certains aspects, bien différentes de celles du système financier traditionnel.

Les caractéristiques de la DeFi

Publique et ouverte à tous. Toute personne disposant d’une connexion Internet et d’une adresse sur une blockchain compatible (ex : Ethereum) peut y accéder. 

Interopérable. La DeFi représente un écosystème de protocoles qui ont vocation à fonctionner ensemble. Ceux-ci ne sont pas toujours concurrents : dans de nombreux cas, ils évoluent en symbiose et se renforcent mutuellement.

Programmable. Les smart contracts sur lesquels reposent les protocoles DeFi peuvent être codés par n’importe qui et peuvent s’exécuter eux-mêmes.

Résiliente. L’infrastructure des technologies blockchains, immuables et infalsifiables, est plus résiliente pour assurer ces services financiers. 

Cas d’usage

Les services de prêts et d’emprunts 

Les marchés de prêts sont l’un des principaux cas d’usage de la finance décentralisée. Les protocoles de prêt décentralisés mettent en relation les emprunteurs aux prêteurs de crypto-actifs. Une plateforme populaire, Compound, permet aux utilisateurs d’emprunter des crypto-actifs ou de déposer leurs propres crypto-actifs en vue de laisser d’autres utilisateurs les emprunter. Les déposants perçoivent un intérêt, versé dans le même crypto-actif que celui qui est déposé.  La plupart des protocoles de prêt décentralisés définissent leurs taux d’intérêt de manière algorithmique, donc s’il y a une demande plus élevée pour emprunter un crypto-actif, les taux d’intérêt seront poussés plus haut.

Les plateformes d’échange (DEX) 

De prime abord, les plateformes d’échanges décentralisées sont similaires aux plateformes traditionnelles, comme Coinbase, Coinhouse, Kraken ou Paymium par exemple. Mais alors que ces dernières sont centralisées, les DEX ne sont gérés par aucune entité centrale pour la plupart (en revanche, certains DEX importants comme Uniswap sont gérés par une entreprise en parallèle). Ces protocoles permettent d’effectuer des transactions avec un large panel de crypto-actifs, qui ne sont la plupart du temps pas listés sur les plateformes d’échanges centralisées. 

Les DEX fonctionnent notamment sur les liquidités mises à disposition par les utilisateurs du protocole. En effet, pour assurer les transactions sans qu’il n’y ait d’entité centralisatrice, les différentes paires de crypto-actifs sont mutualisées dans des pools de liquidité – alimentées directement par les détenteurs de crypto-actifs qui souhaitent bénéficier d’une fraction des frais de transaction. 

A ce jour, la plupart des DEX en activités sont déployés sur le réseau Ethereum. Les plus connus sont Curve, Uniswap, SushiSwap et Balancer. 

Les protocoles de staking 

Participer à la validation des transactions sur une blockchain est souvent complexe et coûteux, nécessitant des compétences techniques et des ressources financières. Le staking liquide révolutionne ce processus en permettant à chacun, même sans expertise technique, de contribuer indirectement à la validation en stakant ses actifs.

Alors que le staking demande de disposer d’un noeud complet du réseau, ajoutant une barrière financière à l’accessibilité, certains protocoles permettent à quiconque disposant d’une certaine quantité d’un jeton de protocole de participer à la validation des transactions sur le réseau. Le staking liquide offre donc une alternative plus accessible pour investir dans la validation des transactions, élargissant ainsi la participation à cette fonctionnalité cruciale de la blockchain. En simplifiant le processus tout en abaissant la barrière financière, le staking liquide rend la validation des transactions plus inclusive, permettant à un plus grand nombre de contribuer à la sécurité des réseaux blockchain.

A ce jour, les protocoles de staking les plus reconnus sont Lido et Rocket Pool. 

Les produits dérivés 

Les produits dérivés sont des instruments financiers dont la valeur fluctue en fonction de l’évolution du taux ou du prix ou de toute autre variable relative à un autre actif appelé sous-jacent. De manière générale, ces produits sont utilisés par des investisseurs avisés qui souhaitent se couvrir contre une diversité de risques – de change, de volatilité ou autres. 

Les principales catégories de produits dérivés sont :

  • Les futures ;
  • Les swaps ;
  • Les options ; et
  • Les forwards. 

Ces derniers mois, l’émission de produits dérivés s’est progressivement développée au sein des technologies blockchain et de l’écosystème DeFi.  Ils nécessitent généralement un oracle (c’est-à-dire un programme qui permet d’envoyer aux smart contracts des informations qui n’y figurent pas “nativement”) pour suivre ces variables et introduisent donc certaines dépendances et des composants centralisés.

À ce jour, les projets spécialisés dans les produits dérivés décentralisés les plus connus sont Synthetix, UMA et dYdX.

Les agrégateurs

Les agrégateurs de Decentralized Exchanges permettent aux utilisateurs de la DeFi d’effectuer leurs échanges d’actifs à moindre frais.

Ces plateformes permettent de recenser la plupart des protocoles d’échange décentralisé afin de mettre en commun le niveau de liquidité ainsi que les taux de conversion que ces plateformes proposent et offrir le meilleur comparatif pour les utilisateurs. 

À ce jour, l’un des agrégateurs de DEX les plus connus est Paraswap. 

Les assurances

Pour couvrir les risques relatifs au fonctionnement des protocoles DeFi – notamment les risques liés à un piratage du smart contract, ou le risque de perte de valeur d’un stablecoin – il est possible de souscrire à des “polices d’assurances” décentralisées sur le réseau Ethereum. En effet, des utilisateurs mettent à disposition leurs crypto-actifs sur un pool de liquidités contre des intérêts, et en cas de réalisation du risque (qui est par nature aléatoire), les personnes ayant souscrit à la “police d’assurance” sont indemnisées à partir des fonds placés dans le pool de liquidités. 

Plusieurs projets comme Unslashed ou Nexus Mutual proposent ce type de service sur le réseau Ethereum. 

Les plateformes de résolution des litiges

Certains protocoles de finance décentralisés utilisent les smart contracts pour la résolution de différents types de litiges : en matière commerciale, de propriété intellectuelle, de gouvernance décentralisée, etc. Cela s’apparente à une forme d’arbitrage privé auquel les utilisateurs d’un smart contract consentent en choisissant de l’utiliser.

Kleros est le protocole de justice décentralisée le plus utilisé à ce jour. Fondée en 2017, la plateforme permet aux détenteurs de jetons natifs du protocole ($PNK) de devenir des jurés anonymes et de participer à la résolution de litiges. Depuis son déploiement sur la blockchain Ethereum, la plateforme a permis la résolution de plus de 900 litiges. 

Et une multitude d’autres cas d’usage…

Notons enfin qu’il existe une diversité d’autres cas d’usage dans le secteur de la DeFi tels les plateformes de prédiction (avec Augur), les loteries sans perte (avec PoolTogether), les plateformes d’investissement dans l’immobilier qui intéragissent avec différents protocoles comme Aave (avec RealT), la stabilisation des rendements futurs attendus d’un protocole DeFi (avec APWine), les projets liés à la gouvernance des protocoles DeFi (avec Paladin ou StakeDAO), etc. 

Conclusion 

La finance décentralisée tend, sur de nombreux aspects, à redistribuer les cartes du système financier actuel. Forte de son inclusivité, de son accessibilité et de sa décentralisation, ses applications encore en développement apportent une offre alternative intéressante aux services financiers proposés par les institutions financières traditionnelles. À ce jour, plus de 50 milliards d’actifs sont mis sous gestion dans les différents protocoles de finance décentralisée, et ce nombre a encore vocation à croître. 

Vertueuse, la DeFi exploite parfaitement les opportunités qu’offrent les réseaux blockchain qui assurent la traçabilité des transactions passées (le registre des transactions étant public), mitigent le risque de contrepartie (un utilisateur ne peut emprunter que s’il a préalablement déposé un collatéral d’un montant supérieur sur le même protocole), et résistent à la censure (les blockchains reposant sur une architecture décentralisée et étant accessible à toute personne dotée d’une connexion à Internet).