La chute des cours des cryptoactifs fait couler beaucoup d’encre et occulte une nouvelle qui devrait pourtant tous nous mobiliser, bien plus qu’un énième épisode boursier. Le 16 juin, la société américaine Circle – deuxième émetteur mondial de stablecoins – a annoncé le lancement d’EUROC, un cryptoasset adossé à l’euro. Cette annonce est d’autant plus importante qu’elle met en lumière deux lacunes majeures : le manque de stablecoins en euros disponibles sur le marché et d’acteurs européens pour les émettre. Circle s’engouffre donc dans cette brèche, après le leader mondial Tether qui avait déjà dévoilé son EURT en 2021.

J’en appelle donc aux décideurs publics. Combien d’années et de crypto-euros étrangers faudra-t-il pour que l’Europe se décide à encourager ses champions ?

Alors que certains considèrent encore les cryptomonnaies comme des objets volatils auxquels on ne peut pas faire confiance, les stablecoins – dont la valeur est maintenue à une parité fixe par une monnaie – s’imposent comme un instrument clé de ce nouvel univers économique. Entre la réplication sans précédent des moyens de paiement dans le monde numérique et la création de nouveaux espaces économiques comme la finance désintermédiée, elles ouvrent la voie à de nombreux usages qui faciliteront notre quotidien.

Ne mettons pas toutes les cryptomonnaies dans le même panier. Ne mettons pas toutes les cryptomonnaies dans le même panier

Ne nous trompons pas d’ennemi. Ne confondons pas les choses. Tous les stablecoins ne s’effondreront pas parce que l’échec de l’UST de Terra fait les gros titres.

D’abord pour des raisons techniques, car la stabilité peut être obtenue de différentes manières. Certains, comme Cicle, mettent en réserve un nombre équivalent de devises pour chaque stablecoin émis. D’autres, comme Terra, programment un algorithme pour maintenir cette stabilité.

Pour des raisons de gouvernance d’autre part. Le mécanisme de prise de décision faussement décentralisé de Terra est au cœur de l’échec du provisionnement de l’UST, qui a conduit à l’effondrement de son cours. D’autres stablecoins plus décentralisés ont résisté à cette crise boursière.

On ne peut donc pas se retrancher derrière cet événement pour balayer les conséquences de l’annonce de Circle tout en faisant une croix sur l’avenir de notre souveraineté monétaire.

Le règlement européen qui s’apprête à être adopté ne peut avoir pour seule boussole une entreprise en faillite. Elle ne peut pas non plus être le seul reflet d’un conservatisme qui finit par contrarier notre objectif commun : préserver la puissance économique et monétaire de l’Europe. Car si la Banque centrale européenne fait bien de réfléchir à l’émission d’un euro numérique, sa sortie n’est pas prévue avant plusieurs années et les propriétés qui lui seront dévolues sont loin de l’innovation et de l’agilité promues par les acteurs privés.

À quand les stablecoins par et pour les Européens ?

Ce constat devrait rendre urgent d’encourager le développement de sociétés robustes et sécurisées qui répondront aux attentes des utilisateurs dans le respect des politiques européennes. Mieux encore, encourager le développement des stablecoins permettrait d’asseoir la suprématie de l’euro dans les échanges internationaux.

Si nous ne le faisons pas, nous sommes confrontés à une grave menace. Les États-Unis émettront à notre place les euros du monde numérique. Plus de 99% des stablecoins en circulation sont déjà ancrés au dollar. L’hégémonie monétaire américaine est donc en train de se recréer dans le Web3, et donc dans l’économie de demain.

C’est ce qui est en jeu. Les cryptomonnaies sont un élément fondamental de l’économie numérique émergente. Pilier du Web3, leur ambition est simple mais puissante : permettre à chacun de posséder et d’échanger de la valeur ou de la rareté (de l’argent à l’art) en ligne.

Pourtant, l’Europe ne mise pas sur les euro stablecoins. En témoigne le projet de règlement européen MiCA, qui s’apprête à interdire à nos entreprises d’émettre des euro stablecoins au-delà d’une valeur de 200 millions d’euros et d’un million de transactions par jour. Comment dès lors concurrencer les stablecoins en dollars, qui circulent à hauteur de 69 milliards de dollars pour l’USDT et de 55 milliards de dollars pour l’USDC ?

En choisissant cette voie, nous pourrons nous enorgueillir de notre règlement, certes précurseur, mais qui enterrera l’espoir d’un regain de puissance économique de l’Europe à l’échelle internationale, notamment dans le secteur du numérique. Pire, en l’état, le règlement ne protégera pas les citoyens européens des défaillances potentielles d’acteurs étrangers qui pourront leur fournir des stablecoins en euros sans contrainte.

Il est encore temps de réagir ! Pour renforcer notre souveraineté, protéger les usagers, agir pour l’environnement et contre la criminalité financière, il y a un préalable : avoir en Europe des entreprises qui portent nos valeurs.

Lire l’article : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-cryptos-la-souverainete-europeenne-en-danger-1415292